...comme je ne sais pas si ça se dit "co-voitureur", j'ai trouvé un biais pour ne pas le mettre
(et en plus pour me faire paraître plus jeune et plus cool encore que je ne suis).
Bon, aujourd'hui, je vais vous parler de ma vie. Tiens, comme c'est exceptionnel... Mais pas de ma vie présente, ni de ma vie future, que moi même je ne connais pas bien. Je vais vous parler de la formidable aventure qui m'est arrivée il y a peu de temps.
En ces temps reculés, j'étais une jeune instit. Très jeune instit. Toute neuve, toute belle, avec plein d'étoiles dans la tête.
Mais comme toute instit célibataire (dans les textes) et sans enfant, de moins de 40 ans, j'ai dû m'exiler pour mon premier poste... Après j'ai compris qu'il fallait que je demande des postes "à risque" pour me rapprocher de la Grande Ville, mais en cette période de jeune instit toute fraîche, on se dit que ces choses là n'arrivent qu'aux autres, et on apprend "bing dans ta tronche" deux jours avant la rentrée qu'on doit aller à une heure trente de chez soi pour exercer son boulot.
On apprend aussi le nom de petits villages dont on n'avait pas idée de l'existence
(ça fait quand même tout drôle).
Alors, là, deux options: soit on décide de prendre ses clics et ses clacs, de quitter la Grande Ville, les amis,
femme et enfant(s) la petite copine, et on part vivre en recluse dans l'immense maison juste à côté de l'école (ben oui, les loyers ne sont pas chers, du coup autant prendre grand...), avec les vieux collègues du coin; soit on décide de faire une croix sur ses pensées écolos de "la voiture, c'est pas bien, déménagez ou prenez le train"
(ça, c'est du slogan!) et on se fait la route tous les jours.
Bon, ben j'ai choisi la deuxième option.
Alors je me vois encore partir, ce premier matin, seule dans ma bagnole. C'était un peu comme si je partais en vacances, moi qui en revenais juste
(je suis du genre à profiter de mes vacances d'été jusqu'au bout en rentrant la veille de la reprise...); sauf que c'était quand même plus chic avec L à côté. Mais bon, pas le choix... enfin, si, "le choix", mais tu parles d'un choix, quand même
(à cette époque, je n'avais pas encore décidé de faire le point sur ma propre vie en m'exilant, comme je le ferai peut-être quand j'aurai 90 ans...). J'avais pris mon cd préféré, qui a pu tourner deux fois avant l'arrivée à destination, et puis la campagne, les petites routes à lacets, c'était sympatoche, limite mignon. Véridique: je me suis dit que ce n'était pas si galère que ça
(vous auriez vu les réactions de ceux à qui je disais que j'allais me taper la route tous les jours...). La première fois.
Bon. Ça a duré un mois, cette impression de "sympatoche limite mignon". J'ai commencé à comprendre les gens qui me disaient "tu vas faire la route aller-retour TOUS LES JOURS, mais tu es FOLLE, c'est IMPOSSIBLE!" . Je me suis un peu rendue compte que c'était la galère, en effet, cette route (sans compter les frais que ça engendrait...). Et il ne neigeait pas encore... Mais Zorro est arrivé...
En un doux jour d'octobre, Zorro est apparu. J'avais eu un soupçon de bonne volonté, en ce jour béni, et ça m'a été rendu
(un peu de justice dans ce monde de brutes...): Je suis allée à la
BIBLIOTHEQUE. Non, vous ne rêvez pas, je suis allée me renflouer en bonnes idées pour faire de moi une instit un peu plus correcte, et voyez ce qui m'est tombé dessus: un jeune homme que j'avais croisé à l'iufm une ou deux fois, et qui ne présentait pour moi nul intérêt à l'époque, vu que j'avais déjà mon quota d'amis
(je ne suis pas du genre à avoir une liste à rallonge de faux amis...). Ce qui devait être à peu près la même chose pour lui. Allez, limite on s'était salué une fois parce qu'on avait un pote commun, par politesse, quoi...
Ben allez savoir pourquoi, je ne me l'explique toujours pas, (est-ce cette tête cernée et ce regard funèbre qui en disait long sur le poste qu'il avait lui même chopé... ?) ce jour là, nous sommes allés nous faire la bise, et nous raconter nos petites misères. Inouïe chance: il était à peu près dans la même galère que moi, avec même combat: voiture/distance/fatigue/poste-de-merde/pas-envie-de-vivre-avec-les-vaches.
D'où l'idée de co-voiturer.
Et s'en fut fini des "galères alone". Nous étions deux dans la barque. Ce qui est pas mal, c'est qu'à deux on peut rigoler un peu plus que tout seul
(mais je rigole toute seule aussi, parfois). Enfin, encore faut-il tomber sur la bonne personne...
( j'ai rencontré plus tard dans l'année un gars qui mettait du hard-rock et de la techno sur toute la route, j'aurais pas supporté plus d'une semaine... je lui ai doucement fait comprendre qu'un covoiturage à 3 ce n'était pas possible en arguant qu'il était trop loin pour nous... mais on se klaxonnait sur la route, parfois, c'est sympa, on lui mettait un peu d'animation quand même...).
Eh ben, là, je pense que je n'aurais pas pu mieux tomber. Ben, si, j'aurais pu "mieux tomber" si ça avait été une fille
blonde, mais bon, L m'aurait fait une scène de jalousie chaque soir, je n'imagine même pas... (déjà là c'était limite...). Parce qu'on passait quand même 3 heures côte à côte tous les jours... ça crée des liens, forcément.
Les premiers jours ont été rudes, tout de même, face à cette nouvelle proximité
(je suis une sauvage, je vous l'ai déjà dit? bon ben voilà, vous le savez maintenant...). Mais ça a très vite changé: on a très vite pigé l'un et l'autre qu'on était le même genre d'instit prêt à déconner dès qu'il le fallait
(parce que, dans ce métier, il y en a, des lourdingues, faut voir le tableau...) , on a commencé à se lancer des petites vannes, à tâter le terrain politique, musical, culturel... et ça coïncidait pas mal. Bon, un petit dièse tout de même: il aimait le rap et le reggae. Non, mais ne rigolez pas, comme je l'ai dit plus haut, dans une voiture, les goûts musicaux c'est vachement important.
Petit à petit, j'ai quand même échangé "RTL two" contre ses CD, et grand bien cela m'a fait, je ne vous le fais pas dire! J'ai découvert d'ailleurs par mon co-voit' un petit groupe sympa dont je suis à présent complètement fan: Syrano.
(Si vous ne connaissez pas, écoutez "Ficelle", ou "dans ma bulle" ou "Planter des cailloux", ce groupe a des chansons toutes plus engagées les unes que les autres, je vous file le lien myspace et après j'arrête d'en parler: * parce que personne ne me paie pour faire de la pub...).
On a vécu de grandes choses dans cette caisse: on s'est arrêté pour cueillir des fraises dans un petit village sur la route, on a hurlé mille fois en claquant des mains
(ce qui est un peu dangereux quand on conduit...) sur les chansons "le grand jour " et "c'est quand le bonheur"
(qui nous ressemblait bien, celle là, dans notre galère...) de Cali
(ben oui, il m'a fait découvrir du rap, je lui ai fait découvrir la musique française...), on a traité ensemble les jours de bouchons, on a klaxonné les gens des villages alentours en leur faisant signe
(oui, on a été très cons parfois...), on a ralenti à des arrêts de bus pour qu'il tente sa chance auprès de la gente féminine arrêtée là, on a failli aller taper un ping-pong dans la salle des fêtes dont il avait les clefs
(mais j'avoue avoir reculé devant ça, j'ai eu peur qu'il me batte, ça aurait été une claque pour moi qui me vantait sans cesse d'être une pro...), on s'est fait des frayeurs sur la route (attention le camiooooon!!!! attentionnnnnnnn!!!!), on s'est remonté le moral les jours où l'un n'en avait pas..., il s'est tapé la grippe que j'avais chopée je ne sais où, bref, un parfait petit couple de co-voit' que nous étions. D'ailleurs, pour les gens du village qui nous croisaient là-bas, ça ne faisait pas l'ombre d'un doute: j'étais sa femme.
Et puis l'année scolaire s'est terminée, sans accident
(ou si peu...), avec un peu de fatigue, mais quand même moins que si j'avais vécu ça toute seule. Je me suis séparée de mon pseudo mari, qui a eu un poste jack-pot dans la Grande Ville, ce fumier, dans une école où il se rend à vélo, comme pour se rattraper de toute cette essence dépensée...
Tout ça fait que, maintenant, nous, on peut crâner devant nos collègues, et dire que c'est possible, de faire tous les jours la route. On rigole aussi des futurs instits qui sont en stage en leur disant la galère à venir l'année de leur premier poste! Même que des fois, je dis que j'en ai vraiment bavé, pour qu'on me plaigne un peu, tiens... ah ah! Alors que si c'était à refaire...
je vous l'avoue: seule dans le métro, cette année, parfois j'ai les boules.
note à Béné, si elle passe par là (pardon, après je sors...):
j'oubliais aussi de vous dire que quand je rentrais chez moi crevée le soir, je ne commençais pas à bosser, il va sans dire, fallait pas déconner non plus. Ça a été mon année "je fais le minimum du minimum". Désolée si c'est tombé sur vos enfants, mais faut pas non plus me prendre pour une sur-femme, même si j'ai rencontré zorro... mais ne vous inquiétez pas, j'avais aussi un poste de m*rde qu'on appelle "décharge" (non mais sinon j'aime bien mon métier...), quel nom mignon, qui signifie que je changeais d'école tout le temps... donc les collègues ont rattrapé le handicap que j'imposais aux élèves, don't worry... Et la cerise sur le gâteau, c'est que j'ai été inspectée et qu'ils ont dû avoir pitié de moi parce qu'ils m'ont mis "satisfaisant" dans mon rapport... voyez, tout n'est pas perdu...
Sinon, comme vous êtes ici, c'est que vous avez du temps à perdre, voici donc un petit jeu de voiture pour voir si vous savez faire un créneau: * . Non, c'est pas hors sujet, c'est même en plein dedans. Moi j'ai mis 21 secondes, sans casse (ça se joue avec les flêches du clavier...).