Le P'tiT VoiSiN

Le p'tit voisin ne s'appelle pas Jocelin, il n'habite pas au dessus de chez nous qui ne sommes pas en dessous (ben oui, du coup...), et à ma connaissance il ne prend pas des cours de jujitsu. D'ailleurs, il n'est même pas étudiant... et même pas sûre qu'il fume. Rien à voir avec la chanson, donc. Mais c'est sympa d'avoir un petit fond musical, de temps en temps. Alors bon, en deux, "petit voisin", ben "Jeanne Cherhal", hein...

Au départ, quand il est arrivé, le petit voisin, on s'est dit que cet appartement devait être son premier, et qu'il avait besoin de contact avec ses autres voisins pour se rassurer. Le voisin, il a plutôt la trentaine que la vingtaine, ça n'empêche qu'il n'a pas les choses essentielles que toute personne qui a vécu seule un moment dans sa vie a. Et du coup, ça le fait paraître jeune et con.

Vous nous connaissez, on est plutôt sympas, comme filles. Dans la vraie vie, je parle (ah ben oui, si vous ne faites pas partie de l'âne O, vous ne pouvez pas savoir). Moi, en tout cas, j'essaie d'avoir le cœur sur la main (vu que j'ai assez l'air sévère comme ça), et parfois ça dérape un peu (faut dire, un cœur sur une main, c'est un peu dégueulasse). Du coup, quand il est venu demander un CD, le p'tit voisin, ou une feuille de papier, ou une calculatrice, ou encore un coup de main pour installer internet, bon, ben j'ai répondu présente. (Bon, pour tout avouer, pour le dernier service, j'ai répondu "présente", mais ça ne servait à rien vu que je suis une bille en informatique, mais le cœur y était).

Quand je racontais ça à mes potes, ils le trouvaient un peu louche, le p'tit voisin. Ils me disaient que soit c'était de la drague, soit il était lourd. Moi, vous savez, je suis une fille un peu naïve sur les bords, et puis, bon, s'il avait besoin d'une calculatrice, je me voyais pas chienne de lui répondre que dans ordinateur, il y en avait une intégrée... Déjà que dans cet immeuble, ça culmine en voisins tartes, je me suis dit que ce serait sympa qu'on se fasse au moins un pote... et qu'il fallait faire avec ce qu'on avait.

Puis, il est devenu un peu encombrant, le petit voisin. Dès qu'on sortait sur la terrasse, paf, il apparaissait à sa fenêtre... toujours pour demander un service. Vu qu'L lui répondait un peu comme un chien (L est asociale, parfois, et sait le montrer, quand quelque chose l'énerve), il a fini par comprendre qu'on n'allait pas longtemps lui filer notre calculatrice... mon cœur sur la main était devenu un cœur de pierre, et j'étais à deux doigts de lui balancer. Mais de toutes façons, je ne sais pas viser.

Il a donc tenté une autre approche: raconter sa vie et attirer la sympathie et/ou l'envie. Parce que le petit voisin, il est loin d'être étudiant: dès qu'il arrive à me choper dans le couloir, dans l'ascenseur, dans la rue, il n'hésite pas à me donner moulte détails sur sa formidable vie de gars pété de tune. Quand je rentre du boulot, achevée, c'est un peu dur d'avoir à affronter le voisin qui me déblatère: "ah, aujourd'hui, j'ai fait une super affaire: je peux arrêter de bosser pendant 6 mois, si je veux!!!". Parce que moi, avec les enfants, quand je fais un super exo, je peux juste arrêter de bosser une demie-heure, le temps qu'ils le fassent. Et je ne gagne pas plus de tune pour ça. Je suis un peu jalouse, je le concède.

Le truc, c'est que je suis trop bonne trop conne sympa, quelque fois.

Une fois, il était bronzé comme quelqu'un qui n'était pas resté dans le nord, vu le temps pourri qu'on s'était encore récolté, et faut dire que ça faisait bien longtemps que je ne l'avais pas vu. C'est moi qui ai engagé la conversation, comme une bille, en voulant me la jouer voisine sympa, en ce beau jour (oui, il faisait beau)(oui, c'est possible). Faut avouer, j'ai ripé: tout est donc de ma faute.

- dis donc, t'es allé en vacances, toi!
- ouais, là je reviens d'une semaine en guadeloupe, c'était génial... j'aime bien partir au moins une fois ou deux par mois, ça fait du bien. En plus, au boulot, j'ai gagné plein de tunes, là, je vais pouvoir repartir la semaine prochaine. Enfin, là, cette semaine, je vais la passer avec ma meuf... peut être que je vais l'emmener quelque part, je sais pas, on verra bien... puis il faut aussi que je m'achète un home cinéma, tu sais pas où je pourrais aller?
- ...

Comme je suis un peu conne trop sympa, et que j'ai engagé une fois la conversation avec lui, il croit que je suis une copine. Du coup, il n'hésite pas à venir toquer à la porte, tantôt pour me filer des invits pour tel truc, d'autres fois pour me donner des choses dont il veut se débarrasser... Bon, ça part de bons sentiments, sauf qu'à chaque fois qu'il vient donner quelque chose, de une je me sens redevable, et de deux il papote encore et encore. De sa vie.

Le petit voisin, il essaie à fond d'être notre meilleur copain, en gros. Il doit être du genre commercial, du genre à pouvoir vous vendre trois aspirateurs parce que vous avez trois pièces dans votre appart. C'est pas possible d'avoir la tchatche comme ça et de laisser passer cette aubaine en bossant derrière un ordinateur, par exemple.

Qu'il raconte sa belle vie passe encore. Quoique... Mais le pire, c'est qu'il essaie aussi de nous soutirer des informations confidentielles. Quand il a fini de parler de lui, il glisse une petite question, mine de rien, hop, pas vu pas pris, du genre "quel est ton boulot?", ou "vous vivez à deux dans cet appart? c'est pas trop petit?"."vous avez combien de pièces? Je peux voir?"

La dernière en date, de question indiscrète, c'est L qui se l'est coltinée. Et ça a été le pompon. Oui, parce que, j'ai dit que L était un peu asociale, mais ça s'est arrangé grâce à moi (elle ne m'a jamais remerciée, allez comprendre...):
- dis donc, zeste, ta copine, elle fait souvent la tronche...
- non, mais faut pas faire attention, c'est parce qu'elle est timide... elle parle pas trop quand elle ne connait pas...

Du coup, il m'a crue. Il ne fait plus gaffe: quand elle fait la tête, il lui parle quand même. Il a réussi à lui soutirer qu'on était lesbiennes, et là je dis chapeau bas, parce que pour qu'L réussisse à dire ça, il faut y aller. Non, mais c'est sûr, c'est un commercial, je vous dis...

Bon, il l'a super bien pris, forcément, sinon il se serait retrouvé seul avec ses idées fixes. Et il a aussi rajouté que quand il était dans tel pays, il avait plein de potes homos, avec qui il sortait sans arrêt en boîte, de vrais fêtards. Pour le coup, il s'est complètement gouré sur nous deux... s'il croit qu'on va remuer le popotin tous les samedis du mois, c'est loupé. On le remue bien, mais dans un lieu plus intime (radio classique, vous vous souvenez?)(d'ailleurs, soit dit en passant, y'en a qui passent comme ça sur le sondage, mine de crayon rien et qui ne votent pas, je ne vous félicite pas, vous n'allez pas faire avancer la science).

Le surlendemain, il me croise, et il me dit qu'il est allé dans une boîte goudou de Lille.

- tiens, je suis allé au miss marple, samedi, avec ma meuf!
- ah...
- c'est pas mal, comme bar!! Bon, ma meuf s'est faite draguer, je te dis pas, hein... forcément, une belle blonde...
- ...
- et, en plus, dans ce bar, F est super sympa!!
- ... heu... c'est qui, F?
- ben, c'est la patronne!!! Tu connais pas F?!!!!
- ben non, tu sais, nous, on sort pas trop dans ces endroits...
- ah ben tu devrais y aller, c'est vachement bien... bon, allez, salut, hein!
- oui, salut...
- moi je me casse à amsterdam, là, j'ai envie de bouger... en plus, je viens de gagner plein de tune, là, j'ai fait une super affaire avec un client, j'te raconte pas...!!!
- ok...

Voilà. Je vous ai présenté mon voisin. Sympa, mais un peu lourd.

Ça n'empêche qu'il sera toujours plus sympa que la pouffiasse de bou-bourge du dessus qui m'a snobée en ville, aujourd'hui, alors que je lui tendais le plus beau des sourires (qu'on me snobe quand je snobe aussi, passe encore...mais là!). Et dire qu'elle voulait que je lui garde ses mioches... franchement, j'ai une tronche d'étudiante sans le sou? tsss... toujours plus sympa aussi que le gland flanqué à sa terrasse pour voir si notre voiture ne dépasse pas de notre place de parking.

Je crois qu'il faut qu'on déménage.