L et moi, on forme un couple totalement normal: c'est pour ça que, comme tous les couples totalement normaux, on se dispute environ douze fois par jour. Enfin, douze fois, c'est quand elle bosse, hein, parce que sinon, quand elle est à la maison, évidemment, c'est plus: je vous laisse faire une opération en quatre par trois pour calculer l'âge du capitaine du nombre de nos embrouilles...
L'autre jour, c'est allé très loin, si loin que je me suis dit que peut-être j'allais avoir l'occasion de tester le statut "en couple mais c'est compliqué" de facebook... Toutefois, comme on avait décidé avant l'embrouille d'aller au furet
(bon, je ne vous présente plus le furet, maintenant, hein, on est d'accord, il ne s'agissait pas du tout d'un tour en animalerie), on est parties toutes les deux en se faisant la tête.
L, c'est la mieux, la "bestof" du couple, parce qu'elle essaie toujours d'arranger les choses: c'est pour ça qu'en descendant les escaliers, elle m'a tenu la première porte, comme pour signer la déclaration d'indépendance de paix.
Moi, qui suis la pire du couple (sans surprise, puisqu'on est à deux, aux dernières nouvelles, et qu'L a pris le rôle de "la mieux"...), j'aime bien envenimer, un peu: c'est pour ça que je suis passée devant elle, fière, et que je ne lui ai pas tenu la deuxième porte.
Pour la troisième porte à passer, comme on avait deux mètres d'écart, ça n'a pas posé problème.
Arrivées à l'extérieur, je marchais en avant, en passant dans ma tête en film super huit toutes les insultes les plus horribles du monde que je préfère garder à l'intérieur, je bouillonnais en me disant que j'allais quitter l'appart, et que de toutes façons, L ne m'aimait plus, et qu'on n'avait pas idée d'être comme ça avec sa petite copine, et que limite je redeviendrais bien hétéro, si je l'ai vaguement été un jour, genre, mais ça c'était un autre débat. Je veux dire, c'était suffisamment embrouillé dans ma tête pour que je commence à penser à "qui de la poule ou de l'oeuf naît homo ou le devient".
Pendant que passait ce tsunami de raz de marée de crasses abominables, je tournais de temps en temps la tête pour voir si ça suivait par derrière, et je dois dire que, compter une L, c'est plus rapide que de compter une classe de 30 enfants.
C'est pour ça que je me suis vite aperçue du fait qu'en fait, derrière, ça ne suivait plus du tout... et que j'avais complètement perdu la trace du T-shirt blanc de ma petite copine, et de tout le reste.
J'ai tout de suite constaté que c'était complètement crétin de ma part d'être sortie de l'appart sans prendre les clefs, ni le portable, ni la carte bancaire, ni un pauvre petit euro, alors que je comptais donner l'illusion de quitter L dans les trois minutes.
J'ai compris que ça n'avait pas dû être crédible une seconde, dans le genre, mais ce n'était pas ça qui m'inquiétait le plus, au point où j'en étais: car, il fallait bien se rendre à l'évidence: je gisais au beau milieu du trottoir, là, seule en pleine ville, comme toute nue, sans but et sans mobile. Oui, non: même pas mon portable sur moi, quoi!
J'ai décidé d'être grande, de ne pas pleurer tout de suite: j'ai repensé à ce qu'il fallait faire, quand on se perdait dans un supermarché: ne plus bouger et attendre. Bon, sauf que là, en ville, je craignais fort qu'il n'y ait pas d'appel micro de quelqu'un qui réclamerait la petite zeste, ...
J'ai eu la bouche sèche, en pensant que j'avais échoué lors de la première solution proposée dans ma tête, et manque de bol, c'était L qui avait la p'tite bouteille d'eau dans son sac... ça a été la goutte d'eau que je n'avais pas qui allait faire déborder le vase.
J'ai réfléchi un peu encore, et j'ai pensé à ce qu'il fallait faire, quand on se paumait, quand on était plus grand: retourner au point de départ.
Je suis donc retournée à l'appart, fébrile, avec à moitié envie de tuer L de m'avoir abandonnée comme ça, et à moitié envie de vite la retrouver pour être en sécurité... et boire un coup dans la bouteille de son sac.
En arrivant à ma porte, bon, ben, bêtement, j'ai cherché mon nom sur la sonnette. C'est marrant, je ne me souvenais même plus de l'endroit de notre sonnette, étant donné qu'en trois ans, je ne m'en suis servi qu'une fois, quand j'ai mis nos noms dessus et que je l'ai essayée, pour voir si c'était la bonne... Enfin, quand je dis "c'est marrant", je veux dire, à petite dose, hein: la situation était quand même trop critique pour vraiment rigoler.
J'ai sonné, et j'ai attendu. Rien. J'ai resonné. Re-rien. J'ai re-re-sonné, et devinez quoi? Re-re-rien, oui, tout à fait.
C'est là que je me suis dit que ça aurait été cool d'avoir un ami dans le coin, histoire d'aller fumer une clope et un blanc avec lui en insultant L de tous les noms de mammifères et d'oiseaux marins...
En me disant ça, j'ai senti que je commençais à flipper sévère, et j'ai du coup eu envie de faire pipi, parce que j'ai toujours envie de faire pipi quand je flippe, bon, ben, chacun son truc hein. Sauf que ça n'arrangeait pas mes affaires, d'avoir envie de faire pipi, vous imaginez bien. Du coup, j'ai eu un peu envie de pleurer, aussi, et je me suis demandé si c'était vrai, ce vieil adage qui disait "pleure, tu pisseras moins", et si j'avais eu internet, j'aurais regardé les forums, pour voir ce qu'ils en pensaient... mais là, bon, ben, je suis restée avec mon point d'interrogation dans la tête.
Je ne me suis tout de même pas avouée vaincue, arrivée à ce point, parce qu'il m'en faut un peu plus pour déclarer forfait illimité et n'en jetez plus, la coupe est pleine.
Je me suis dit que, bon sang, j'allais sur mes trente ans, et que j'étais bien capable de me débrouiller seule dans la jungle urbaine. J'ai essayé de me mettre dans la tête des autres, puisque je n'y arrivais pas, dans la mienne: "... et comment elle ferait, Jeanne Cherhal, à ma place? Et Skye? Et Val
®?". Mais bon, j'ai arrêté au bout de genre cinq minutes, parce que, il n'y a pas à dire, c'était quand même compliqué, d'imaginer ce que feraient à notre place des gens qu'on ne connait pas...
J'ai finalement décidé de retourner vers le furet, mais toujours pas l'animal, hein, parce que je me suis dit qu'L avait peut-être fini par y aller, genre.
C'est en milieu de trajet, quand j'ai commencé à me dire que tout était perdu, et que jamais je ne reverrais ma famille, mes amis,
mon quinquin, et que surtout, jamais je ne verrais
l'émission spéciale de tlmvpsp, que c'était trop bête de finir comme ça, oui, c'est en milieu de trajet que j'ai vu de loin ma jolie petite L promise, avec son petit T-shirt blanc, son sac avec ma carte bancaire, mes clefs, mon portable à l'intérieur, et j'étais tellement heureuse de la revoir et de réentendre mon coeur battre à nouveau que, sur le coup, j'ai complètement oublié de continuer à lui faire la tête...
En même temps, quitter sa p'tite copine uniquement parce qu'elle ne veut pas téléphoner à la maif pour assurer la maison des vacances, c'était peut-être un peu fort de roquefort... mais, si je n'm'abuse, oh, toutes les disputes sont bonnes pour pouvoir se réconcilier sur l'oreiller !